Hommage à Berlioz ? Pourquoi me suis-je senti concerné par cet appel
? Sans doute parce que Berlioz, mais surtout la musique de la première
moitié du XIXème siècle ont été une des origines de ma décision de composer,
un territoire dans lequel je me suis trouvé, et que Berlioz et son époque
restent pour moi comme un refuge quand il me paraît que la musique-
la grâce- me fuit.
Mais un hommage ne doit être ni un pastiche, ni une parodie, ni une
enfilade de citations... Il faut plutôt, me semble t'il, pouvoir et
savoir retrouver, dans son propre langage, quelque chose de l'esprit
du compositeur, dans le cas présent , pouvoir évoquer les violents contrastes
et la sincérité abrupte de Berlioz, ses ruptures de ton, également sa
nature élégiaque manifestée à travers ses longues lignes mélodiques,
sons sens de l'orchestre et des timbres, ses déclenchements "ninivites" pour le citer. Avoir aussi son exigence vis à vis des instrumentistes,
à qui Berlioz demande souvent le maximum. j'avoue avoir dans ce cas
complètement suivi son exemple.
Il est un autre compositeur que j'ai évoqué dans Ruines, Clartés
stellaires, c'est Schumann. Bien que la nature renfermée de
ce dernier semble loin de l'énergie volcanique - mais également dépressive-
de Berlioz, Schumann fut, parmi les compositeurs de cette époque, celui
qui a le mieux compris Berlioz, ayant fait une des plus intelligente
et pénétrante analyse de la "Fantastique". C'est pourquoi le fantôme
schumannien rôde aussi dans ces pages, mais dans un langage tout à fait
contemporain.
L'ouvre Ruines, Clartés stellaires est écrite en deux
parties séparées par un silence d'une vingtaine de secondes environ; silence qui n'est pas une coupure, mais plutôt une césure, une grande
respiration entre chacun des deux mouvements.
Le premier, Ruines, est comme un reflet lointain de
la Symphonie Fantastique : rôle de la clarinette solo à la fois violente
et ironique, trombone comme un appel, et surtout tutti, revenant trois
fois, sonnant comme un grand orchestre; son écriture en "mode à transpositions
limitées" renforce son aspect obsessionnel. La fin du mouvement, en
grand crescendo, avec un ostinato de la caisse claire et de la contrebasse,
est une fugace allusion à la "Marche au supplice". L'alternance de
carrures très simples (mesures à 4 temps) et d'autres plus complexes
renforce l'impression d'inquiétude que donne ce mouvement.
Le deuxième mouvement, Clartés stellaires, est comme
une "tradition revisitée" de toutes les musiques nocturnes du XIXème,
mais aussi du XXème siècle : Berlioz bien sûr, mais aussi Schumann,
Chopin, Bartok , Kurtag, Boucourechliev. Il est d'une écriture très
mélodique, presque tonale; les timbres ne sont pas un simple "coloriage" de cette mélodie, mais en constituent souvent l'inspiration primitive.
Cette ligne mélodique, interrompue par un appel de trompette et des
pizzicatos de contrebasse, se poursuit par un grand crescendo, sur un
unique accord répété de nombreuses fois, puis s'achève en un apaisement
où l'on entendra l'unique "citation" de l'œuvre, celle de la fin du
premier mouvement de la Fantaisie pour piano de Schumann, mouvement
que celui-ci voulait appeler Ruines. Ainsi se conclut cette pièce,
hommage à Berlioz bien sûr, mais surtout ouvre où j'ai tenté d'évoquer
ces ombres proches et parlantes.
Extrait audio : Ensemble LE TEMPS RETROUVE - Jean Michel Danet, violon - Dominique Rochet, contrebasse - Géraldine Scotto, flûtes - Bernard Bonhomme, clarinette - Wendelin Serwe, basson - Jean Pierre Gonsalvès, trompette et cornet - Anne Boussard, cor - Joel Castaingts, trombone - Reanud d'Ham, percussions -
Serge Coste direction.